Égypte : La condamnation à mort de Morsi n’est que le sommet de l’iceberg

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La nouvelle de la condamnation à mort prononcée contre l’ancien président égyptien destitué Mohamed Morsi a fait les gros titres de la presse à travers le monde, mais des centaines de sentences du même type sont rendues depuis quelques mois en Égypte sans que la sphère internationale s’en émeuve.

Des groupes de défense des droits humains essaient désespérément d’inverser cette forte augmentation des condamnations à mort en Égypte, mais ils ont du mal à tenir le rythme.

Mardi, le juge Shaaban al-Shami a confirmé la peine capitale par pendaison pour Morsi, suite à la condamnation initialement prononcée le 16 mai 2015, pour avoir pris part à des évasions de prison massives pendant le soulèvement de 2011 qui avait fini par l’amener au pouvoir.

Morsi faisait également partie des 21 prévenus condamnés par ailleurs à la réclusion à perpétuité pour espionnage.

Le Grand Mufti, la plus haute autorité religieuse égyptienne, avait été consulté pour examiner le verdict, bien que son avis n’ait pas de valeur contraignante.

L’organisation de la société civile Against the Death Penalty (Contre la peine de mort) avait critiqué les sentences contre Morsi et d’autres prévenus.

« Nous étions scandalisés d’apprendre que le gouvernement avait condamné plus de 120 personnes à la peine capitale pour espionnage et attaques de prisons. Il y avait parmi les condamnés deux personnes décédées et une autre emprisonnée à vie en Israël », a déclaré l’organisation militante.

Amnesty International avait qualifié les procès du mois de mai de « simulacre de justice s’appuyant sur une procédure nulle et non avenue » et avait demandé à ce que les accusés soient rejugés devant un tribunal civil.

 

Des procès collectifs quasiment systématiques

Depuis quelques mois, les condamnations font suite à des procès du même ordre.

En février, 183 personnes ont été condamnées à mort parce qu’elles étaient accusées d’avoir attaqué la police et les militaires, et 188 autres ont été condamnées en décembre 2014 pour le meurtre de 11 policiers.

« Les condamnations à mort collectives prononcées à chaque fois que des policiers sont tués sont devenues une politique quasiment systématique, quels que soient les faits et sans chercher à établir une quelconque responsabilité individuelle », déplore Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels sur le nombre de condamnations à mort en Égypte, Amnesty a signalé qu’au moins 1247 accusés avaient été renvoyés devant le Grand Mufti au premier semestre de 2014.

L’opinion du Mufti n’a pas de valeur contraignante, mais il est d’usage que le tribunal suive son avis.

Il est précisé par ailleurs que, sur cette même période, 247 condamnations à mort ont été confirmées. Dans les deux cas, les accusés étaient soit membres des Frères musulmans, l’organisation islamiste désormais interdite dont Morsi était l’un des dirigeants, soit des partisans de cette confrérie.

La gravité de ces chiffres apparaît clairement lorsqu’on les compare aux données figurant dans un rapport de l’université Cornell.

Ce rapport indique que plus de 700 personnes ont été condamnées à mort en Égypte entre 1981 et 2000 et que 248 ont été exécutées.

Or, depuis 2007, au moins 396 personnes ont été condamnées à la peine capitale et neuf d’entre elles ont été exécutées, alors qu’en 2010, 185 individus ont été condamnés à mort et quatre ont été exécutés.

 

Militantisme local

Reem Saad, professeur d’université et militante au sein de l’organisation Against the Death Penalty explique à Equal Times que la peine de mort doit être considérée comme inhumaine et illégale.

« La plupart des pays ont aboli la peine capitale, ou sont sur le point de le faire, et ce n’est pas sans raison. Cette sentence bafoue le droit à la vie, qui est le droit le plus élémentaire de tous les droits humains », précise-t-elle.

« De plus, il n’est absolument pas prouvé que la peine de mort ait un effet dissuasif sur la criminalité. Et cette condamnation est irréversible : une fois appliquée, il est impossible de faire marche arrière si de nouvelles preuves innocentent l’accusé, contrairement à d’autres sanctions », ajoute-t-elle.

Mais les arguments qu’avancent Saad, Amnesty et Against the Death Penalty sont pour ainsi dire absents des convictions dominantes en Égypte, où de nombreuses personnes pensent que la peine capitale est un châtiment approprié pour certains délits.

En Égypte, les partisans de la peine de mort estiment qu’il s’agit d’une décision de justice de dernier recours, et ce d’autant plus que le pays traverse une période de forte instabilité.

La peine de mort est considérée comme un moyen de lutter contre ce que les Égyptiens appellent le « terrorisme » pratiqué par les membres et les défenseurs des Frères musulmans.

« Cependant, le droit à un procès équitable pour tous les citoyens, sans discrimination, est la seule garantie qui permette que les assassins, les violeurs et les terroristes soient tenus pour responsables de leurs actes ; sans cette garantie, la société sera gouvernée par la loi de la jungle », commente Amnesty.

L’avocat et chercheur Ahmed Ezat se dit préoccupé par l’indépendance du système juridique égyptien qui, selon lui, éveille des doutes quant à l’équité des procès et des verdicts.

« Plusieurs indicateurs révèlent que l’autorité politique domine l’autorité juridique. Le système juridique est utilisé comme un outil pour venger les opposants politiques dans un environnement politique très tumultueux », explique-t-il à Equal Times.

« Nous ne pouvons jamais être vraiment sûrs que les accusés, en particulier les responsables politiques, bénéficient d’un procès équitable, déclare Ahmed Ezat. Alors le moins que l’on puisse faire est d’exiger d’abolir la peine de mort, puisqu’elle est irréversible ».

 

Cet article a été traduit de l'anglais.