L’Union européenne face au son des « tambours de guerre »

L'Union européenne face au son des « tambours de guerre »

“Unfortunately, there are many factors behind the widespread concern and deep pessimism that prevail when looking to the near future,” says Jesús A. Núñez Villaverde. Photo taken during the commemoration of Dutch Liberation Day (which commemorates the end of the Nazi occupation of the Netherlands during the Second War World), on 5 May 2024, in Rotterdam, the Netherlands.

(Mouneb Taimm/Middle East Images via AFP)

Nourris par l’hystérie belliciste évoquée par Edgar Morin dans son récent opuscule, De guerre en guerre : de 1914 à l’Ukraine (éd. L’Aube, 2024), il semblerait que nous soyons irrémédiablement condamnés à un scénario généralisé de conflictualité mondiale, comme si nous n’avions rien appris de tant d’erreurs commises après d’innombrables affrontements violents, intra-étatiques aussi bien qu’inter-étatiques.

Vu depuis l’Union européenne, le coin le plus prospère et le plus sûr de la planète, habité par des populations post-héroïques qui tendent à considérer, à tort, que la guerre appartient au passé et que tous les désaccords peuvent être résolus par des moyens non violents, un tel pronostic vient altérer les fondements-mêmes de leur modèle post-impérial.

Un modèle qui repose essentiellement sur l’idée selon laquelle il existe des valeurs et des cadres éthiques universels, que l’interdépendance rend très improbable l’éclatement de la violence et qu’avec cela, et la réduction des écarts d’inégalité entre les personnes d’un même territoire, les piliers centraux qui mènent invariablement à un monde plus juste, plus sûr et plus durable sont en place.

Malheureusement, un ensemble de facteurs permettent d’expliquer l’inquiétude généralisée et le pessimisme ambiant face à l’avenir immédiat, remettant en cause ces hypothèses de départ de l’Europe des vingt-sept.

Parmi eux, il convient de citer tout d’abord l’effondrement de l’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale. Un ordre prétendument fondé sur des règles et qui ne dispose pas d’une ONU qui soit à même de le gérer (en raison de la mauvaise foi de ses membres).

Cet ordre sert avant tout les intérêts des États-Unis et ne peut dissimuler le deux poids deux mesures avec lequel le comportement de certains de ses membres est jugé (la Russie et Israël n’étant qu’un exemple parmi tant d’autres).

L’absence d’une autorité mondiale réellement capable de contrôler le respect des règles du jeu par tous et de sanctionner ceux qui les enfreignent est aggravée par le fait que le leader mondial effectif, les États-Unis, n’est plus en mesure de remplir, même de manière inappropriée, le rôle de gendarme du monde. Cette réalité finit par attiser la tentation de ceux qui ambitionnent de prendre leur place – comme la Chine et la Russie – ou de ceux qui se sentent désormais plus critiques à l’égard du statu quo et plus libres de sortir des rangs – les pays du Sud.

Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que nous nous trouvions déjà engagés dans une rivalité stratégique ouverte entre Washington et Pékin, qui entraîne de nombreux autres acteurs aux quatre coins du globe, tandis que les États-Unis cherchent coûte que coûte à maintenir leur hégémonie et que la Chine tente de prendre le relais le plus rapidement possible. Dans le même temps, l’absence d’un gendarme mondial effectif et le déclin de la puissance américaine incitent d’autres acteurs à explorer les possibilités qui s’offrent à eux de devenir des leaders régionaux ou de résoudre par eux-mêmes les problèmes non résolus avec leurs voisins. Il en résulte, comme on peut le constater dès aujourd’hui avec l’augmentation du niveau de violence, une recrudescence généralisée du recours à la force, qui vise pour l’essentiel à tirer parti du vide relatif existant sur le plan du pouvoir.

À cela s’ajoutent des réalités objectives telles que la négligence à l’égard de nombreux conflits soi-disant « oubliés » et l’augmentation du nombre de personnes souffrant de faim et de malnutrition chronique, qui remettent immanquablement en question la volonté politique consacrée par la devise des Nations Unies « ne laisser personne de côté ». Par ailleurs, au rythme actuel, il ne semble pas non plus possible d’atteindre les objectifs fixés dans le cadre du Programme 2030, dans la mesure où cela impliquerait davantage de personnes incapables de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires, davantage de droits fondamentaux qui continueront d’être violés et davantage de retards dans la prise en charge de l’urgence climatique dans laquelle nous sommes plongés.

La conjonction de tous ces facteurs a fait de l’instabilité et de l’insécurité des caractéristiques intrinsèques du monde dans lequel nous vivons. Et comme une réponse quasi instinctive, nous nous retrouvons, comme pendant la guerre froide, avec un ordre du jour dominé avant tout par un parti pris militariste, voire belliciste, entretenu par ceux qui continuent à croire, malgré les preuves du contraire, que plus on possède d’armes, plus on est en sécurité.

La peur, la haine, la désinformation ... Et Vladimir Poutine

D’une part, il est évident que certains acteurs sont intéressés par la promotion et l’entretien de la peur et, par conséquent, par le militarisme comme réponse. Aux suspects habituels, les industries de la défense, il faut immédiatement ajouter tous ceux qui jouent le jeu du « pire c’est, mieux c’est », qu’il s’agisse de groupements non étatiques ou de gouvernements nationaux. On trouve également dans ce camp ceux qui, partant de positions ultranationalistes et populistes, entretiennent la haine et la désinformation, cherchant ainsi la rupture de la paix sociale et l’affrontement fratricide qui, à leurs yeux, contribue à diviser et à affaiblir les rivaux potentiels et, par conséquent, à faciliter la réalisation de leurs objectifs de pouvoir et de domination sur autrui.

Cependant, il est aussi vrai que tout ne s’explique pas par une peur fabriquée discursivement, et qu’il existe certaines réalités incontestables. Du point de vue de l’UE, l’une d’elles porte même un nom propre : la Russie.

L’agressivité dont fait étalage Vladimir Poutine, et pas seulement à l’égard de l’Ukraine, engendre une perception de menace directe parmi les 27 pays membres de l’Union européenne. La Russie veut être reconnue comme une puissance mondiale et se réserver sa propre sphère d’influence en Asie centrale et en Europe de l’Est, et tout indique qu’elle soit prête à le faire, par la force si nécessaire. Cette attitude menace l’ordre de sécurité continental, qui s’est également trouvé gravement déséquilibré par les décisions imprudentes prises ces dernières années par les États-Unis, à tel point qu’il n’est pas exclu que le conflit en Ukraine finisse par dégénérer en un conflit continental.

À cela s’ajoute la possibilité que Donald Trump redevienne le locataire de la Maison-Blanche et mette ses menaces à exécution – comme celle d’inciter la Russie à faire ce que bon lui semble aux alliés européens de l’OTAN qui ne respectent pas l’objectif de 2 % de leur PIB consacrés à la défense.

La confluence de ces variables suscite une inquiétude logique au sein de l’UE-27. Inquiétude qui est exacerbée par le fait que l’UE ne dispose toujours pas d’une voix propre sur la scène internationale, et encore moins des moyens de défendre ses propres intérêts, compte tenu de sa dépendance à l’égard des États-Unis.

Pour l’heure, la quasi-totalité des pays de l’UE-27 augmentent substantiellement leurs budgets de défense, sans pour autant lever les doutes quant à leur objectif ultime : l’autonomie stratégique ou le maintien de la subordination aux États-Unis et à l’OTAN. Ce qui semble néanmoins indéniable, c’est que la recherche d’un accord entre l’ensemble des Européens (y compris la Russie) en vue d’un rééquilibrage de l’architecture de sécurité continentale qui tienne compte des intérêts légitimes de tous les États continue d’être reléguée au second plan.

De même, la mise en pratique des idées avancées par le paradigme de la sécurité humaine – centré sur la satisfaction des besoins essentiels et le plein respect des droits fondamentaux de chaque être humain – en tant que complément nécessaire à la sécurité des États, paraît vouée à un avenir indéterminé.

Pour l’heure, la sécurité de l’État – la défense des frontières contre les menaces extérieures – semble prendre le pas sur la sécurité humaine, comme s’il était plus important de disposer des chars d’assaut les plus avancés que de garantir la paix sociale à l’intérieur de chaque pays.

This article has been translated from Spanish.