En direct de la place Taksim

 

En Turquie, la tentative de contenir les manifestations contre le gouvernement s’est transformée en répression à grande échelle lundi dernier, après une journée et une nuit d’affrontements entre les manifestant(e)s et la police pour prendre le contrôle de la place Taksim.

Il était 07.00 quand un photographe m’a appelé pour me dire que la police venait de commencer à évacuer la place emblématique que les militant(e)s occupaient depuis une semaine.

 

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Un manifestant antigouvernemental lance un bâton pendant que la police tire au canon à eau pour reprendre la place Taksim, mardi 11 juin 2013 (Photo/Oren Liv)

[/caption]Après avoir enfilé des vêtements et pris mon masque à gaz fait maison, je me suis précipité au coin de la rue, où des jeunes du parti social-démocrate, qui portaient des casques de chantier jaunes, des masques à gaz et des pulls bleus, essayaient tant bien que mal de consolider leurs barricades sous une pluie de gaz lacrymogène.

Tandis que la police anti-émeute s’installait par vagues aux abords de la place Taksim, secondée par un escadron de canons à eau, des jeunes qui campaient à côté, dans le parc Gezi, se dirigeaient vers le centre de la place en essayant désespérément d’organiser une riposte.

De nouvelles barricades de fortune se sont dressées et, lorsque la police a attaqué à coups de canons à eau, de bombes lacrymogènes et de balles en caoutchouc, des jeunes, déterminés, se sont accroupis et ont contre-attaqué en lançant des cocktails Molotov, des pétards et des pierres.

Aucun manifestant(e) n’était disposé à céder la place Taksim, qu’ils/elles avaient pris à la police la semaine précédente après d’incessants combats de rue, en réaction aux violentes expulsions du parc Gezi par la police.

Ce sont ces affrontements qui ont déclenché le mouvement de protestation dans l’ensemble du pays et transformé une petite manifestation écologiste en révolte antigouvernementale d’ampleur nationale.

Les jeunes qui occupaient le parc, tout en s’efforçant de conserver le moindre centimètre carré de la place Taksim, se sont montrés de plus en plus hostiles et l’appel qu’ils ont lancé par le biais des médias sociaux a fait affluer les citoyen(ne)s turcs à leurs côtés.

Peu de jeunes étaient aussi organisés que ceux du parti social-démocrate et comme ils ont résisté à la première attaque, la nouvelle s’est vite répandue que la police avait fait une descente dans les bureaux de leur parti et que 70 responsables et membres du parti avaient été arrêtés dans l’immeuble.

« Tous ensemble contre le fascisme », criaient-ils/elles à la police en ponctuant leurs slogans de bombes incendiaires qui atterrissaient sur les canons à eau et obligeaient les véhicules en flammes à battre en retraite, avant de revenir vers les barricades pour vaporiser de l’eau sous pression mélangée à du poivre.

« Il s’agit d’un véritable combat pour la liberté, pour défendre notre droit à nous réunir en public et pour faire entendre nos revendications, m’a dit Arda Tasci, un chômeur de 25 ans qui a récemment obtenu un diplôme universitaire en économie du travail.

Maintenant, je vais rester jusqu’au bout, nous ne les laisserons pas mettre fin à notre mouvement » a-t-il ajouté avec détermination.

Pendant ce temps, alors que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qualifiait les manifestant(e)s d’extrémistes, la police arrêtait des dizaines d’avocat(e)s qui soutenaient le mouvement de protestation dans l’enceinte du tribunal.

C’est une expérience surréaliste que de traverser au milieu des gaz lacrymogènes une place autour de laquelle, la veille encore, les bâtiments étaient recouverts des drapeaux de l’opposition et de slogans de toutes les tendances.

C’était comme si la naissance d’une contre-culture et d’un débat nouveau sur la Turquie étaient anéantie par les canons à eau et les balles en caoutchouc.

Tandis que l’obscurité tombait, les milliers de personnes qui s’étaient rassemblées au centre de la place Taksim ont de nouveau été attaquées par un déluge de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc.

Des médecins militants circulaient dans la foule pour soigner les gens en leur injectant de l’anti-acide dans les yeux.

Là encore, les contestataires se regroupaient, arrivant des petites rues, pour retourner sur la place Taksim où ils/elles allaient une nouvelle fois passer la nuit.

Au petit matin, la police tenait fermement Taksim, un canon à eau géant posté en plein centre de la place, pendant que le parc Gezi était toujours aux mains des militant(e)s.

Il y a bien plus en jeu que le blocage de la circulation au centre d’Istanbul.

La place Taksim est devenue un symbole pour les défenseurs de la démocratie dont le mouvement est monté de la rue alors que, pour le gouvernement, reprendre cette place témoigne de l’autorité inébranlable qu’il tire de ses victoires successives aux élections. Tout comme la lutte pour diriger un pays divisé, la lutte pour la place Taksim continue.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.