Le côté obscur de l’expansion du secteur minier australien

 

Cette année, l’Australie se prépare pour les élections législatives sur fond de désaccord au sujet de la répartition des milliards de dollars générés par le florissant secteur minier du pays.

D’un côté, il y a le puissant lobby de l’industrie minière, qui est soutenu par des sociétés d’exploitation des ressources naturelles parmi les plus grandes du monde.

De l’autre côté, il y a le gouvernement travailliste et le mouvement syndical, qui cherchent à répercuter ces bénéfices sur l’ensemble de la communauté.

De manière tout à fait comparable à la controverse qui avait façonné le paysage politique australien en 2010, l’industrie minière menace une nouvelle fois de recourir à ses ressources considérables pour fermer la porte à tout véritable débat sur la question.

Stimulée par l’insatiable demande de la Chine en fer et en charbon, l’expansion apparemment infinie du secteur minier australien a permis à l’économie du pays d’échapper à la récession mondiale.

Elle a également permis à l’Australie de faire un bond au classement des pays les plus riches du monde. En 2011-2012, l’économie australienne a enregistré une croissance de 3,7 pour cent, tandis que la moyenne des pays du G7 atteignait environ 1,4 pour cent en 2012.

Depuis le début de l’établissement des blancs, à la fin du XVIIIe siècle, l’économie australienne repose largement sur l’abondance de ses ressources naturelles et sur les industries du secteur primaire.

Mais l’actuel essor du secteur minier – centré dans la région désertique isolée de Pilbara, au nord-ouest de l’Australie – a cela d’unique qu’il met en évidence une hausse des inégalités de revenus, entraînant un débat national sur l’orientation que doit prendre l’économie australienne.

De graves questions se posent aujourd’hui, entre ce que ce florissant secteur des ressources naturelles a réellement apporté à la nation et la menace que le comportement agressif du lobby minier représente pour la démocratie.

Une nouvelle campagne, à l’initiative du Construction, Forestry, Mining and Energy Union (Syndicat du secteur de la construction, des forêts, des mines et de l’énergie – CFMEU), exprime clairement ce trouble grandissant.

La date des élections étant désormais fixée au 14 septembre, le syndicat veut s’assurer que tous les partis politiques s’engagent à mieux gérer les bénéfices du secteur minier, dans l’intérêt de tous les Australien(ne)s.

« L’explosion de l’industrie minière a profité à de nombreux Australien(ne)s, mais elle en a laissé un plus grand nombre encore derrière elle, ce qui affecte considérablement les secteurs créateurs d’emplois que sont l’industrie de transformation, le tourisme et l’enseignement », affirme Michael O’Connor, le secrétaire national du CFMEU.

« Cette campagne vise à recentrer les politiques des principaux partis politiques afin de saisir les opportunités qu’offre le succès du secteur minier : réduire le chômage, fournir des formations et des emplois à une nouvelle génération de travailleurs et de travailleuses australiens et investir dans les communautés les plus éprouvées. »

Avec une gestion correcte, il ne fait aucun doute que les bénéfices de l’industrie minière pourraient apporter un avantage considérable à l’Australie. Mais certains secteurs clés de l’économie sont laissés de côté.

« Quand cette phase de prospérité prendra fin – ce qui est inévitable car toutes les périodes d’expansion se terminent un jour, de par leur nature même – nous ne voulons pas que notre pays soit réduit à une simple carrière à ciel ouvert, une ferme ou un site qu’on se contente de visiter », a récemment déclaré Dave Oliver, le secrétaire d’Australian Council of Trade Unions (Conseil australien des syndicats – ACTU).

« Nous voulons avoir l’assurance que nous avons des industries saines et viables. »

L’industrie de transformation, qui emploie 13 pour cent des travailleurs/euses du secteur privé, illustre parfaitement cette situation.

Au cours des dix dernières années, alors que l’emploi direct dans le secteur minier a pratiquement triplé, pour atteindre 263.000 emplois à la fin de l’année dernière, un emploi sur 10 a quant à lui été perdu dans l’industrie de transformation, dont la main-d’œuvre est tombée à 972.000 personnes.

De plus, de par la force de l’industrie minière, le dollar australien a pris de la valeur, ce qui s’est traduit par une pression considérable pour les fabricants australiens, désormais confrontés à des importations bon marché et à des exportations de plus en plus chères.

Le secteur minier a par ailleurs été critiqué pour avoir tourné le dos à l’industrie locale, alors qu’il passait des commandes de plusieurs milliards de dollars pour les machines, les transports et les services.

 

La culture du « premier entré, premier sorti »

Il est incontestable qu’une véritable inquiétude prend forme autour de l’embauche de migrant(e)s qualifiés, souvent préférés aux travailleurs/euses locaux pour les emplois de courte durée.

Une forte hausse des visas temporaires, s’élevant à 457, a été constatée, ce qui équivaut à une augmentation de près de 60 pour cent pour le premier trimestre de l’actuel exercice budgétaire.

De surcroît, les entreprises minières s’appuient sur les Enterprise Migration Agreements (Accords sur la migration pour les entreprises), ce qui leur permet de ne pas embaucher d’Australien(ne)s, au profit de travailleurs/euses étrangers moins coûteux, pour certains projets spécifiques.

C’est la femme d’affaires australienne la plus en vue du secteur minier, Gina Rinehart, qui a bénéficié la première de ces accords, l’an passé, pour son projet Roy Hill, mais les syndicats ont ensuite persuadé le gouvernement de mettre en place un service de recherche d’emploi en ligne, dénommé Resource Sector Jobs Board, afin de donner toutes leurs chances aux travailleurs/euses australiens, en priorité.

Ces dernières semaines, le gouvernement fédéral a resserré le dispositif des 457 visas temporaires, suite aux plaintes des syndicats, selon lesquels ce système favorisait l’exploitation des travailleurs/euses étrangers et la précarisation des conditions de travail, tout en compromettant les accords salariaux en vigueur.

Les résident(e)s des communautés minières ont, pour leur part, tiré la sonnette d’alarme sur le côté obscur de l’expansion du secteur minier.

Du point de vue historique, le développement des mines dans les régions isolées du pays allait de pair avec la construction de cités minières à proximité afin de loger les travailleurs/euses et leur famille. Cependant, la culture du « premier entré, premier sorti » qui prévaut actuellement a tendance à détruire ce système.

Les entreprises minières ne cherchent plus à investir dans les communautés ni les infrastructures locales. Les villes disposant de ressources à long terme sont actuellement transformées en chantiers de travail.

Dans les nouvelles installations, le niveau de services et d’infrastructures est minime et les communautés locales jadis imposantes assistent à l’exode des résident(e)s permanents, qui n’ont plus les moyens de payer de loyer dans des zones où les salaires élevés de l’industrie minière ont engendré une hausse du coût de la vie.

Une enquête élaborée par une commission spéciale de la Chambre des représentants révèle que les pratiques de travail du mode « premier entré, premier sorti » ne favorisent pas la viabilité des villes et des communautés régionales en place.

Comme il fallait s’y attendre, l’organisme influent de l’industrie minière, le Minerals Council of Australia (Conseil des minerais d’Australie – MCA), conteste ce résultat.

« L’industrie minière ne vide pas de leur substance les régions dans lesquelles elle s’installe : elle accroît les revenus, attire les familles et réduit le chômage », affirme le directeur général du MCA, Mitch Hooke.

 

Taxes et atteintes à la réputation

Il y a trois ans, le gouvernement travailliste a cherché à faire profiter davantage son pays des bénéfices du secteur minier au moyen d’une taxe sur les bénéfices, appelée Resources Super Profits Tax (Taxe sur les super-bénéfices issus des ressources naturelles – RSPT).

La RSPT était conçue pour taxer à 40 pour cent les bénéfices de l’industrie minière au-delà du taux obligataire à long terme de six pour cent, avec des réductions en cas de pertes enregistrées l’année précédente, de frais d’exploration ou d’autres déductions.

Cette taxe devait financer la baisse générale du taux d’imposition sur les sociétés, contribuer davantage aux comptes de retraite privés et participer à divers projets d’infrastructure dans des zones rurales du pays.

Mais le plan s’est heurté à une réaction extrêmement hostile de la part de l’industrie minière, qui refusait de renoncer à ses bénéfices excédentaires.

Le secteur minier a fort habilement lancé une campagne publicitaire, qui a coûté plusieurs millions de dollars et porté un coup fatal à Kevin Rudd, alors Premier ministre.

La campagne avait le visage de trois magnats de l’industrie minière parmi les plus célèbres d’Australie : Andrew Forrest, de Fortescue Metals Group, Clive Palmer, de Mineralogy, et la susmentionnée Gina Rinehart.

La majeure partie du financement de la campagne provenait de multinationales telles que BHP Billiton, Rio Tinto et Xstrata.

Suite à un changement de direction en juin 2010, Julia Gillard, devenue chef de file du parti travailliste et Première ministre, a donné la priorité à la refondation de la RSPT et a négocié une version édulcorée de la taxe, désormais appelée Minerals Resource Rent Tax (Taxe sur les revenus des ressources des minerais – MRRT).

La MRRT taxe en effet à 22,5 pour cent les bénéfices au-delà du taux obligataire de 7 pour cent, mais elle ne s’applique qu’au minerai de fer et au charbon.

La MRRT est un fiasco. Lors de la première moitié de l’exercice budgétaire actuel, elle a tout juste permis de rapporter 126 millions AUD (129,9 millions USD) de recettes – un chiffre nettement inférieur aux 2 milliards escomptés pour la première année.

Aucune des grandes entreprises minières ne s’est acquittée de la taxe et, en dépit des milliards de dollars de bénéfices annuels qu’elles engrangent, il est fort probable que les deux géantes Rio Tinto et BHP Billiton ne paient pas la taxe pendant des années.

Trois ans après l’échec de la RSPT, les industriels du secteur minier australien ont constamment renforcé leur position, en particulier Rinehart.

L’an passé, d’après le magazine Forbes, c’était la femme la plus riche du monde, avec une fortune estimée à 18 milliards USD.

Rinehart a des points de vue extrêmement conservateurs et elle a trouvé une tribune pour les exprimer en investissant largement dans la télévision et les journaux.

Elle s’est illustrée l’année dernière par ses propos méprisables lorsqu’elle a comparé les travailleurs/euses australiens « paresseux et surpayés » et les Africain(e)s « disposés à travailler pour moins de deux dollars par jour ».

L’an dernier, Wayne Swan, le ministre des Finances australien, a attiré l’attention sur le comportement brutal des magnats de l’industrie minière dans un essai intitulé « The 0.01% ».

« Une poignée de personnes qui défendent des intérêts privés ont empoché une part disproportionnée du succès économique de la nation et estiment désormais qu’elles ont le droit d’orienter l’avenir de l’Australie pour satisfaire leur propres intérêts », a-t-il écrit.

Le stéréotype est moins aisé pour des multinationales minières plus anciennes telles que Rio Tinto et BHP Billiton, mais il n’en reste pas moins que cela fait des années qu’elles appliquent des politiques qui menacent la sécurité de l’emploi, la syndicalisation et les communautés rurales.

Aujourd’hui, il est demandé avec une insistance croissante à la Première ministre, Julia Gillard, de modifier la taxe en supprimant la lacune fiscale qui autorise les entreprises minières de se prévaloir d’un avoir fiscal pour annuler leurs futures obligations fiscales.

Le parti des verts, qui a formé une coalition avec le parti travailliste en 2010, demande depuis toujours des impôts plus stricts pour les entreprises minières.

Il y a deux semaines, les verts ont mis fin à leur alliance officielle avec le parti travailliste, expliquant que le différend sur la taxe des sociétés minières en était la principale raison.

Mais le lobby minier a brandi la menace d’une guerre généralisée si la taxe était amendée.

Pour couper l’herbe sous le pied à son adversaire, le lobby a récemment fait paraître des annonces en pleine page de certains journaux pour déclarer qu’il payait déjà 20 milliards AUD de taxes et de redevances chaque année.

Mitchell Hooke, du MCA, avertit que les choses allaient changer « du tout au tout » – une menace à peine masquée à l’intention du gouvernement.

Tout cela se déroule dans le contexte des élections fédérales, qui auront lieu mi-septembre.

Il ne fait guère de doute que le parti d’opposition conservateur libéral national, qui monte déjà dans les sondages, se rangera aux côtés de l’industrie minière, comme en 2010.

Seul l’avenir nous dira dans quel camp les électeurs/trices australiens choisiront d’aller.

 

Cet article a été traduit de l'anglais.